Impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier

jeudi 27 février 2025

Hervé LE MAOUT présente Étienne BLANC, qu’il a connu il y a une trentaine d’années, confraternellement comme avocat, et politiquement comme élu ayant des convictions communes.

Il rappelle les mandats d’Étienne BLANC :

  • Conseiller municipal, adjoint à Bourg-en-Bresse,
  • Maire de Divonne-les-Bains,
  • Député de l’Ain,
  • Premier vice-président au conseil régional Auvergne Rhône-Alpes en charge des finances,
  • Candidat à la mairie de Lyon, 
  • Sénateur du Rhône depuis 2020, mandat toujours en cours à l’heure actuelle.

Étienne BLANC nous livre ensuite sa conférence sur le narcotrafic.

ETAT DES LIEUX

Le cannabis reste de loin la drogue la plus répandue dans le monde. L’héroïne est, par comparaison, en relative stagnation. 
On assiste à la montée en puissance d’un danger peut-être plus grand encore, celui des opioïdes de synthèse, notamment le fentanyl.

Mais on assiste au niveau mondial à l’explosion du trafic de cocaïne.

Les produits stupéfiants sont acheminés par une infinie variété de routes. Ces routes se reconfigurent constamment. En clair, dès qu’une voix se ferme une autre s’ouvre, le trafic semble toujours trouver un moyen de s’infiltrer.

Les trafiquants s’internationalisent, au mépris d’une réponse pénale qui reste souvent confinée au niveau national. C’est le phénomène particulièrement préoccupant des pays « refuges », au premier rang desquels figure l’émirat de Dubaï, ainsi que d’autres, en particulier le Maghreb.

Sur le plan économique, les narco trafiquants génèrent un chiffre d’affaires de l’ordre de 6 milliards d’euros, et un bénéfice d’environ 3 milliards d’euros. Ces opérateurs raisonnent en termes de business, avec tous les procédés du capitalisme (division du travail, sous-traitance, délocalisation, etc.…). Ils utilisent un vaste éventail de procédés : blanchiment de proximité (onglerie, kebabs, coiffeurs…) souvent au nom d’un proche, transferts de fonds permettant d’éviter le circuit bancaire, blanchiment financier internationalisé avec des intermédiaires peu scrupuleux basés dans des paradis fiscaux.

LA FRANCE DANS LE PIEGE DU NARCOTRAFIC

Le narcotrafic a gagné les villes moyennes, voire petites, et les zones rurales. Les points de deal ont vu naître des centres d’appels permettant la livraison des stupéfiants au domicile des clients. L’intensification du trafic s’accompagne d’une flambée de violence particulièrement inquiétante

Un autre point est alarmant : c’est celui de l’émergence de la corruption des agents publics et privés. Il convient de noter également la situation particulièrement exposée des outre-mer, Antilles et Guyane notamment. Les trafiquants exploitent la misère d’une partie de la population de ces territoires, en particulier les « mules ». Il s’agit d’une délinquance marquée par une violence exacerbée et des trafics d’armes.
Les trafiquants s’adaptent à la réponse pénale : l’action des réseaux évolue à grande vitesse pour tenir compte des services répressifs : recours à des mineurs ou à des personnes en situation irrégulière. Ils recrutent des vendeurs et des guetteurs (via les réseaux sociaux) et embauchent des équipes de tueurs, françaises (parfois très jeunes) ou étrangères, pour leur règlement de comptes. Ils utilisent des mineurs non accompagnés, des mineurs Français originaires d’autres territoires, ainsi que de jeunes adultes en situation irrégulière. 
Pour la plupart d’entre eux, le passage en prison est devenu un « risque du métier ». Certains continuent à gérer leur trafic de stupéfiants depuis leur cellule, et commanditent même des violences ou des assassinats à l’égard de leurs rivaux ou d’autres « ennemis ».

UNE COOPERATION INTERNATIONALE DEFAILLANTE

Il y a des états non coopératifs que le droit international ne permet pas de contraindre. Il s’agit en particulier de pays comme le Maroc et surtout Dubaï. La coopération est mieux engagée au niveau européen, notamment avec des systèmes cryptés de communication utilisés par des milliers de trafiquants qui ont ainsi pu être infiltrés. 

DES SERVICES REPRESSIFS SOUS-DOTES

L’informatique ne permet pas une exploitation sereine des écoutes téléphoniques par les services d’enquête. Les effectifs demeurent insuffisants dans les ports et dans les aéroports. 
Les magistrats sont unanimes pour dénoncer la faiblesse des moyens matériels et humains qui leur sont accordés. 
Les opérations « place nette » révèlent un bilan décevant, et un risque de marginalisation des enquêtes pénales. 
Les règles de droit laissent ouvertes des failles dont profitent les narcotrafiquants. 
Il faut déplorer la présence massive de téléphones portables en prison et des imperfections des dispositifs de « brouillage », ainsi qu’une corruption difficile à détecter comme à réprimer, car la France a accumulé un préoccupant retard dans la prise en charge du risque de compromission de ses agents publics et privés.

Une organisation et un droit inadapté à la réalité d’un blanchiment endémique : les flux financiers issus du trafic de stupéfiants et la confiscation des avoirs criminels constituent pourtant le nerf de la guerre contre le narcotrafic. Les saisies et les confiscations demeurent trop faibles pour atteindre vraiment les acteurs du narcotrafic. Le gouvernement se prive, faute d’efforts pour identifier les avoirs criminels, d’une manne qui pourrait s’élever à minima à plusieurs centaines de millions d’euros supplémentaires.

Enfin les acteurs sont éparpillés au niveau central comme au niveau local : problèmes de coordination, de chevauchement de compétences, voire de rivalités entre services. Il faut également relever un manque d’association des partenaires pourtant essentiels sur le terrain que sont les élus locaux, maires et police municipale, ainsi que les bailleurs sociaux, qui sont victimes et témoins des trafics.

LES SOLUTIONS

  • Donner un rôle clair à chaque acteur et créer un parquet national antistupéfiants.
  • Mettre la procédure pénale à la hauteur des enjeux pour mieux identifier et mieux confisquer, au bénéfice du budget de l’État, les avoirs criminels.
  • Assumer une position forte dans les concertations européennes et dans la coopération internationale. Les narcotrafiquants se jouent des frontières. Il est notamment urgent d’agir de manière résolue auprès de l’émirat de Dubaï, désigné par un très grand nombre de policiers et de magistrats comme un havre pour les narcotrafiquants du haut du spectre. Il est tout aussi urgent de renforcer la coopération entre la France et les pays producteurs de cocaïne en Amérique du Sud.
  • Il faut se donner les moyens de la sécurité dans les outre-mer, car ceux-ci sont en première ligne face à la menace, et ont besoin d’un soutien que le gouvernement n’a pas su apporter. Il faut une stratégie du bouclier permettant de repousser les flux et les réseaux, qui tentent de se servir des collectivités d’outre-mer comme des lieux de stockage et de transit. La politique de lutte contre les « mules » avec la mise en place d’une nouvelle peine complémentaire d’interdiction de vol. En parallèle les aéroports ultra marins doivent être sécurisés.
  • Il faut sécuriser les infrastructures portuaires. En effet, le vecteur maritime constitue la principale voie d’entrée de la cocaïne en Europe. Il s’agit de mettre en place une « liste noire » des compagnies maritimes qui servent de façades à des organisations criminelles, et en contrôlant l’intégralité des conteneurs identifiés comme « à risque » (étant rappelé que seuls 2 à 10 % d’entre eux sont contrôlés aujourd’hui…).
  • Il faut remettre à niveau les moyens d’action des services répressifs. L’Ofast peut difficilement jouer son rôle de coordination de l’action des services répressifs. Un double rattachement au ministère de l’intérieur et au ministère de l’économie et des finances doit permettre de faciliter le dialogue, ainsi que les douanes. Tout cela devant permettre de poursuivre les trafiquants du « haut du spectre ». D’autre part, les services d’enquête et les magistrats ont unanimement cité, parmi les priorités, l’impératif de disposer de capacités techniques et de cyber suffisantes pour accéder aux réseaux cryptés.
  • Il ne faut pas manquer le virage de l’intelligence artificielle, pour permettre de traiter rapidement un immense volume de données. L’I A peut en effet concourir à comprendre des réseaux, à éclairer l’environnement de ceux qui sont mis en cause, à recueillir des éléments de preuve, et donc finalement à progresser dans les enquêtes.
  • Il faut redonner sa juste place aux renseignements. La coordination doit être davantage structurée. En parallèle, la DGSI doit être pleinement remobilisé. Il est indispensable que les services de renseignements se mettent véritablement au service des services d’enquête et des magistrats, afin de prévenir toute difficulté lors de la judiciarisation du dossier. Une réforme indispensable : la création d’un grand fichier dédié à la criminalité organisée, réclamée par la police, la gendarmerie, et l’Ofast.
  • Il faut adapter le droit pénal la procédure pénale aux réalités du narco trafic. Il s’agit de créer un parquet national anti stupéfiants, sur les modèles pertinents et réussis du parquet national financier et du parquet national antiterrorisme. Il faut également durcir la procédure pénale pour mettre les narcotrafiquants hors d’état de nuire avec de nouveaux outils : étendre l’ infraction d’association de malfaiteurs, sur le modèle de la loi anti mafia italienne, et de créer un crime d’association de malfaiteurs ; également, mieux encadrer le régime des nullités de procédure ; assurer l’interdiction effective des téléphones portables par un brouillage généralisé des appareils, et durcir le régime de la détention provisoire ; enfin faciliter les infiltrations policières et le traitement des sources, et créer une infiltration « civile » par des informateurs devenus infiltrés.

Il faut lutter contre la corruption des agents publics, notamment en modifiant l’organisation du travail visant à la rendre matériellement impossible (travail en binôme, turnover régulier, postes de travail tournants…) ; renforcer les dispositifs de signalement interne comme de la protection des lanceurs d’alerte ; faire des enquêtes patrimoniales périodiques pour les agents particulièrement exposés aux risques corruptifs en lien avec la criminalité organisée.

  • Il faut lutter de manière implacable contre le blanchiment : le renseignement doit pleinement jouer son rôle et la place de Tracfin doit être confortée, en intégrant notamment les secteurs prisés des trafiquants (location de véhicules de luxe, par exemple,). Il s’agit aussi de systématiser les enquêtes patrimoniales, en créant une procédure complémentaire d’enquête sur le patrimoine des personnes condamnées et de leurs proches. Il faut autoriser la fermeture administrative des commerces « de façade » par arrêté préfectoral, y compris sur proposition des maires. Il faut également enquêter sur l’environnement patrimonial des trafiquants, saisir puis confisquer les biens, en impliquant également l’administration fiscale et les organismes de sécurité sociale.

FAIRE DU VOLET PATRIMONIAL ET FINANCIER UN INCONTOURNABLE DE LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC

Il s’agit de frapper les trafiquants au portefeuille :

  • Instauration d’une procédure d’injonction pour richesse inexpliquée (corrélation entre les revenus perçus et le train de vie).
  • Exploitation plus poussée de la non justification de ressources, permettant au surplus de viser l’entourage du narcotrafiquant. 
  • Recours plus fréquent à la présomption de blanchiment. 
  • Accroître encore les saisies et les confiscations, en prenant mieux en compte les cryptos actifs ou encore faciliter la saisie des fonds de commerce.

ENFIN GAGNER LA BATAILLE CULTURELLE

Prévention sur le mode de la lutte contre l’alcool et le tabac. Campagne massive ciblée sur les jeunes, les métiers pénibles, et les milieux festifs.  

Différentes questions ont été posées, puis plus rien n’étant à l’ordre du jour, la séance a été levée à 21 heures.

     

Etienne Blanc, sénateur du Rhône, rapporteur de la commission d'enquête sur le narcotrafic en France