Hervé LE MAOUT présente Étienne BLANC, qu’il a connu il y a
une trentaine d’années, confraternellement comme avocat, et politiquement comme
élu ayant des convictions communes.
Il rappelle les mandats d’Étienne BLANC :
- Conseiller municipal, adjoint à Bourg-en-Bresse,
- Maire de Divonne-les-Bains,
- Député de l’Ain,
- Premier vice-président au conseil régional Auvergne
Rhône-Alpes en charge des finances,
- Candidat à la mairie de Lyon,
- Sénateur du Rhône depuis 2020, mandat toujours en cours à
l’heure actuelle.
Étienne BLANC nous livre ensuite sa conférence sur le narcotrafic.
ETAT DES LIEUX
Le cannabis reste de loin la drogue la plus répandue dans le
monde. L’héroïne est, par comparaison, en relative stagnation.
On assiste à la montée en puissance d’un danger peut-être
plus grand encore, celui des opioïdes de synthèse, notamment le fentanyl.
Mais on assiste au niveau mondial à l’explosion du trafic de
cocaïne.
Les produits stupéfiants sont acheminés par une infinie
variété de routes. Ces routes se reconfigurent constamment. En clair, dès
qu’une voix se ferme une autre s’ouvre, le trafic semble toujours trouver un
moyen de s’infiltrer.
Les trafiquants s’internationalisent, au mépris d’une
réponse pénale qui reste souvent confinée au niveau national. C’est le
phénomène particulièrement préoccupant des pays « refuges », au premier rang
desquels figure l’émirat de Dubaï, ainsi que d’autres, en particulier le
Maghreb.
Sur le plan économique, les narco trafiquants génèrent un
chiffre d’affaires de l’ordre de 6 milliards d’euros, et un bénéfice d’environ
3 milliards d’euros. Ces opérateurs raisonnent en termes de business, avec tous
les procédés du capitalisme (division du travail, sous-traitance,
délocalisation, etc.…). Ils utilisent un vaste éventail de procédés : blanchiment de
proximité (onglerie, kebabs, coiffeurs…) souvent au nom d’un proche, transferts
de fonds permettant d’éviter le circuit bancaire, blanchiment financier
internationalisé avec des intermédiaires peu scrupuleux basés dans des paradis
fiscaux.
LA FRANCE DANS LE PIEGE DU NARCOTRAFIC
Le narcotrafic a gagné les villes moyennes, voire petites,
et les zones rurales. Les points de deal ont vu naître des centres d’appels
permettant la livraison des stupéfiants au domicile des clients.
L’intensification du trafic s’accompagne d’une flambée de violence
particulièrement inquiétante
Un autre point est alarmant : c’est celui de l’émergence de
la corruption des agents publics et privés. Il convient de noter également la situation particulièrement
exposée des outre-mer, Antilles et Guyane notamment. Les trafiquants exploitent
la misère d’une partie de la population de ces territoires, en particulier les
« mules ». Il s’agit d’une délinquance marquée par une violence exacerbée et
des trafics d’armes.
Les trafiquants s’adaptent à la réponse pénale : l’action
des réseaux évolue à grande vitesse pour tenir compte des services répressifs :
recours à des mineurs ou à des personnes en situation irrégulière. Ils recrutent
des vendeurs et des guetteurs (via les réseaux sociaux) et embauchent des
équipes de tueurs, françaises (parfois très jeunes) ou étrangères, pour leur
règlement de comptes. Ils utilisent des mineurs non accompagnés, des mineurs
Français originaires d’autres territoires, ainsi que de jeunes adultes en
situation irrégulière.
Pour la plupart d’entre eux, le passage en prison est devenu
un « risque du métier ». Certains continuent à gérer leur trafic de
stupéfiants depuis leur cellule, et commanditent même des violences ou des
assassinats à l’égard de leurs rivaux ou d’autres « ennemis ».
UNE COOPERATION INTERNATIONALE DEFAILLANTE
Il y a des états non coopératifs que le droit international ne permet pas de contraindre. Il s’agit en particulier de pays comme le Maroc et
surtout Dubaï. La coopération est mieux engagée au niveau européen,
notamment avec des systèmes cryptés de communication utilisés par des milliers
de trafiquants qui ont ainsi pu être infiltrés.
DES SERVICES REPRESSIFS SOUS-DOTES
L’informatique ne permet pas une exploitation sereine des
écoutes téléphoniques par les services d’enquête. Les effectifs demeurent insuffisants dans les ports et dans
les aéroports.
Les magistrats sont unanimes pour dénoncer la faiblesse des
moyens matériels et humains qui leur sont accordés.
Les opérations « place nette » révèlent un bilan décevant,
et un risque de marginalisation des enquêtes pénales.
Les règles de droit laissent ouvertes des failles dont
profitent les narcotrafiquants.
Il faut déplorer la présence massive de téléphones portables
en prison et des imperfections des dispositifs de « brouillage », ainsi qu’une
corruption difficile à détecter comme à réprimer, car la France a accumulé un
préoccupant retard dans la prise en charge du risque de compromission de ses
agents publics et privés.
Une organisation et un droit inadapté à la réalité d’un
blanchiment endémique : les flux financiers issus du trafic de stupéfiants et
la confiscation des avoirs criminels constituent pourtant le nerf de la guerre
contre le narcotrafic. Les saisies et les confiscations demeurent trop faibles
pour atteindre vraiment les acteurs du narcotrafic. Le gouvernement se prive,
faute d’efforts pour identifier les avoirs criminels, d’une manne qui pourrait
s’élever à minima à plusieurs centaines de millions d’euros supplémentaires.
Enfin les acteurs sont éparpillés au niveau central comme au
niveau local : problèmes de coordination, de chevauchement de compétences,
voire de rivalités entre services. Il faut également relever un manque
d’association des partenaires pourtant essentiels sur le terrain que sont les
élus locaux, maires et police municipale, ainsi que les bailleurs sociaux, qui
sont victimes et témoins des trafics.
LES SOLUTIONS
- Donner un rôle clair à chaque acteur et créer un parquet
national antistupéfiants.
- Mettre la procédure pénale à la hauteur des enjeux pour
mieux identifier et mieux confisquer, au bénéfice du budget de l’État, les
avoirs criminels.
- Assumer une position forte dans les concertations
européennes et dans la coopération internationale. Les narcotrafiquants se
jouent des frontières. Il est notamment urgent d’agir de manière résolue auprès
de l’émirat de Dubaï, désigné par un très grand nombre de policiers et de
magistrats comme un havre pour les narcotrafiquants du haut du spectre. Il est
tout aussi urgent de renforcer la coopération entre la France et les pays
producteurs de cocaïne en Amérique du Sud.
- Il faut se donner les moyens de la sécurité dans les
outre-mer, car ceux-ci sont en première ligne face à la menace, et ont besoin
d’un soutien que le gouvernement n’a pas su apporter. Il faut une stratégie du
bouclier permettant de repousser les flux et les réseaux, qui tentent de se
servir des collectivités d’outre-mer comme des lieux de stockage et de transit. La politique de lutte contre les « mules » avec la mise en
place d’une nouvelle peine complémentaire d’interdiction de vol. En parallèle
les aéroports ultra marins doivent être sécurisés.
- Il faut sécuriser les infrastructures portuaires. En effet,
le vecteur maritime constitue la principale voie d’entrée de la cocaïne en
Europe. Il s’agit de mettre en place une « liste noire » des compagnies
maritimes qui servent de façades à des organisations criminelles, et en
contrôlant l’intégralité des conteneurs identifiés comme « à risque » (étant
rappelé que seuls 2 à 10 % d’entre eux sont contrôlés aujourd’hui…).
- Il faut remettre à niveau les moyens d’action des services
répressifs. L’Ofast peut difficilement jouer son rôle de coordination de
l’action des services répressifs. Un double rattachement au ministère de
l’intérieur et au ministère de l’économie et des finances doit permettre de
faciliter le dialogue, ainsi que les douanes. Tout cela devant permettre de
poursuivre les trafiquants du « haut du spectre ». D’autre part, les services
d’enquête et les magistrats ont unanimement cité, parmi les priorités, l’impératif
de disposer de capacités techniques et de cyber suffisantes pour accéder aux
réseaux cryptés.
- Il ne faut pas manquer le virage de l’intelligence
artificielle, pour permettre de traiter rapidement un immense volume de
données. L’I A peut en effet concourir à comprendre des réseaux, à éclairer
l’environnement de ceux qui sont mis en cause, à recueillir des éléments de
preuve, et donc finalement à progresser dans les enquêtes.
- Il faut redonner sa juste place aux renseignements. La
coordination doit être davantage structurée. En parallèle, la DGSI doit être
pleinement remobilisé. Il est indispensable que les services de renseignements
se mettent véritablement au service des services d’enquête et des magistrats,
afin de prévenir toute difficulté lors de la judiciarisation du dossier. Une
réforme indispensable : la création d’un grand fichier dédié à la criminalité
organisée, réclamée par la police, la gendarmerie, et l’Ofast.
-
Il faut adapter le droit pénal la procédure pénale aux
réalités du narco trafic. Il s’agit de créer un parquet national anti
stupéfiants, sur les modèles pertinents et réussis du parquet national
financier et du parquet national antiterrorisme. Il faut également durcir la procédure pénale
pour mettre les narcotrafiquants hors d’état de nuire avec de nouveaux outils :
étendre l’ infraction d’association de malfaiteurs, sur le modèle de la loi
anti mafia italienne, et de créer un crime d’association de malfaiteurs ;
également, mieux encadrer le régime des nullités de procédure ; assurer
l’interdiction effective des téléphones portables par un brouillage généralisé
des appareils, et durcir le régime de la détention provisoire ; enfin faciliter
les infiltrations policières et le traitement des sources, et créer une
infiltration « civile » par des informateurs devenus infiltrés.
Il faut lutter contre la corruption des agents publics,
notamment en modifiant l’organisation du travail visant à la rendre
matériellement impossible (travail en binôme, turnover régulier, postes de
travail tournants…) ; renforcer les dispositifs de signalement interne comme de
la protection des lanceurs d’alerte ; faire des enquêtes patrimoniales
périodiques pour les agents particulièrement exposés aux risques corruptifs en
lien avec la criminalité organisée.
-
Il faut lutter de manière implacable contre le blanchiment :
le renseignement doit pleinement jouer son rôle et la place de Tracfin doit
être confortée, en intégrant notamment les secteurs prisés des trafiquants
(location de véhicules de luxe, par exemple,). Il s’agit aussi de systématiser
les enquêtes patrimoniales, en créant une procédure complémentaire d’enquête
sur le patrimoine des personnes condamnées et de leurs proches. Il faut
autoriser la fermeture administrative des commerces « de façade » par arrêté
préfectoral, y compris sur proposition des maires. Il faut également enquêter
sur l’environnement patrimonial des trafiquants, saisir puis confisquer les
biens, en impliquant également l’administration fiscale et les organismes de
sécurité sociale.
FAIRE DU VOLET PATRIMONIAL ET FINANCIER UN INCONTOURNABLE DE
LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC
Il s’agit de frapper les trafiquants au portefeuille :
- Instauration d’une procédure d’injonction pour richesse
inexpliquée (corrélation entre les revenus perçus et le train de vie).
- Exploitation plus poussée de la non justification de
ressources, permettant au surplus de viser l’entourage du narcotrafiquant.
- Recours plus fréquent à la présomption de blanchiment.
- Accroître encore les saisies et les confiscations, en
prenant mieux en compte les cryptos actifs ou encore faciliter la saisie des
fonds de commerce.
ENFIN GAGNER LA BATAILLE CULTURELLE
Prévention sur le mode de la lutte contre l’alcool et le
tabac. Campagne massive ciblée sur les jeunes, les métiers
pénibles, et les milieux festifs.
Différentes questions ont été posées, puis plus rien n’étant
à l’ordre du jour, la séance a été levée à 21 heures.